Interview : Fournir des prêts au logement abordables pour les familles à revenu faible et moyen au Cambodge

Interview : Fournir des prêts au logement abordables pour les familles à revenu faible et moyen au Cambodge

SothanyatAGM.jpgmercredi 31 juillet 2019

Sothany Chun est la Présidente directrice générale de First Finance Plc, une institution financière partenaire d’Oikocredit qui octroie des prêts au logement et à la rénovation de l’habitat aux personnes à revenu faible et moyen au Cambodge.
L'association de soutien d'Oikocredit aux Pays-Bas l'a rencontrée récemment pour évoquer son parcours ainsi que son travail, et la manière dont First Finance contribue à améliorer les conditions de vie des populations en développant l'accès à la propriété.

Pour commencer, pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Après avoir obtenu mon diplôme de comptabilité, j’ai décroché mon premier emploi en 2002 dans le domaine de l'audit, au sein d'une organisation caritative appelée World Vision Cambodia. J’ai acquis une expérience dans toutes les activités opérationnelles de l'organisation - c'est là que j'ai découvert la microfinance.

Très vite, je me suis rendu compte que j’étais plus intéressée par les questions opérationnelles que par les chiffres. J’ai donc intégré l'équipe de développement du programme, qui travaillait avec le bureau de soutien et les bailleurs de fonds. Je me suis également impliquée dans la rédaction de propositions de projets, ce qui était très intéressant.

En 2007, j'ai rejoint Vision Fund (la branche microfinance de World Vision) avant d’intégrer une société de services bancaires mobiles basée en Australie. Elle voulait agir en faveur des personnes à faible revenu (une initiative de leur équipe de responsabilité sociale des entreprises) et créer une entreprise de transfert mobile d'argent, ce que je trouvais formidable à l'époque. En 2011, j'ai rejoint First Finance en tant que directrice financière, avant d'être nommée en 2014 à mon poste actuel de Présidente directrice générale.

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First Finance octroie des crédits au logement et à l'amélioration de l'habitat. Pourquoi est-ce si crucial au Cambodge ?

En fait, le nom de notre organisation lors de sa création en 2006 était « First Home », car les personnes qui avaient fondé l’organisation avaient constaté que les jeunes salarié.e.s étaient très désavantagé.e.s en termes de prêts au logement et d'accès à des logements abordables. D'une part, les jeunes salarié.e.s ne remplissaient pas les conditions requises pour bénéficier d'un microcrédit, et étaient généralement ignoré.e.s par les banques commerciales qui se concentraient sur le segment haut de gamme (perçu comme présentant un risque moindre).

Ainsi, le concept de micro-hypothèques a été testé, non pas comme le ferait une banque commerciale type, mais en s’adressant aux client.e.s vivant avec un revenu faible à moyen. Le concept a donné de bons résultats et l’organisation s’est transformée en institution financière avec un nouveau nom, « First Finance », qui reflète la nouvelle orientation, l’impact social que nous recherchons et notre vision.

Pouvez-vous donner un exemple de la façon dont vous avez aidé un client en particulier ?

Il y a beaucoup d'histoires inspirantes à raconter, mais c’est celle d'une mère et de sa fille qui me vient à l'esprit.

Ces deux femmes étaient propriétaires de leur maison jusqu’à ce que le gouvernement la leur confisque pour prolonger la route. Ce développement, en principe considéré comme positif pour la communauté, a fait leur malheur. Il ne leur restait plus qu'un mètre de terre, ce qui n’était évidemment pas suffisant pour construire une nouvelle maison.

La fille tenait un magasin sur le marché dans lequel elles ont emménagé. Elles y ont vécu pendant un certain temps. Et, bien que prospère, l’entreprise ne dégageait pas les revenus suffisants pour leur permettre d’acheter une maison.

Heureusement, First Finance était présent sur le même marché pour faire connaître son action. Ayant appris ce que nous faisions et après avoir pris des renseignements, la fille est venue nous voir et un prêt a été débloqué. Elle a d’abord contracté un emprunt pour acheter un terrain, effectué plusieurs versements, puis obtenu un nouvel emprunt pour construire une maison.

Après leur emménagement dans la nouvelle maison, la fille m'a dit quelque chose que je n'oublierai jamais : « Je vous remercie. Aujourd’hui, grâce à First Finance, j’ai de nouveau un chez-moi. »

C'était vraiment touchant. Il est très important pour une famille d’avoir un foyer et pouvoir aider des familles dans ce but est très enthousiasmant et très motivant.

Quels sont les principaux défis auxquels vous faîtes face au Cambodge ?

Généralement, les prêts hypothécaires sont souscrits sur le long terme. L'achat d'une maison est une décision importante pour tout le monde. La durée moyenne des prêts de nos client.e.s est de 10 ans. First Finance a beaucoup de chance dans la mesure où la moyenne des crédits que nous contractons auprès de nos investisseurs est de cinq ans. Une institution de microfinance type n’obtient souvent un prêt que pour trois ans.

Cependant, nous ne pouvons pas nous aligner sur la durée d’emprunt de nos clients. Si celle-ci est de 10 ans et que nous ne pouvons obtenir qu'un prêt de cinq ans nous-mêmes, nous avons un différentiel de cinq ans.

L’autre défi est que, comme nous sommes la seule institution de microfinance à proposer des prêts hypothécaires, nous avons peu de gens avec qui parler et de qui apprendre. Or, on ne peut pas réinventer la roue tout le temps. On a besoin de partager, d'apprendre des autres, en particulier des bonnes pratiques.

Nous nous demandons toujours si nous faisons ce qu’il faut. Pourrions-nous faire mieux ? Ou différemment ?

Certaines personnes pourraient demander pourquoi nous nous limitons aux hypothèques. Peut-être qu’en diversifiant notre offre, nous aurions un meilleur rendement. Notre action peut sembler lente, mais nous changeons les choses. Et c'est ce qui compte. Par conséquent, notre croissance n’est peut-être pas aussi rapide que celle des autres et ne générons pas un rendement financier aussi important, mais nous ne fonctionnons pas uniquement pour générer un rendement financier : nous existons pour l'impact social et c'est ce qui motive nos collaborateurs et collaboratrices.

Le surendettement est un problème au Cambodge depuis ces dernières années. Quelles mesures spécifiques prenez-vous pour résoudre ce problème ?

Il existe une association des principaux acteurs cambodgiens de la microfinance qui élabore les initiatives et réglementations du secteur. Auparavant, il n'y avait aucune limite réglementaire au nombre de crédits. Les gens pouvaient emprunter auprès de cinq institutions. Les préoccupations relatives au surendettement ont conduit l'association à fixer une limite : désormais, les client.e.s individuel.le.s ne sont plus autorisé.e.s à contracter un emprunt auprès de plus de deux institutions financières. Quant aux prêts solidaires (généralement plus petits), leur nombre maximum est de trois.

De même, si les client.e.s ne peuvent pas rembourser en raison de difficultés financières temporaires, par exemple si un.e membre de la famille tombe malade ou si le revenu baisse à cause de la météo, une solution à court terme est trouvée avec First Finance, ce qui implique de travailler avec les client.e.s pour résoudre leurs difficultés. Les soucis financiers à long terme nécessitent une consultation étroite avec les client.e.s : des mesures appropriées doivent être prises pour qu’ils et elles aient finalement la capacité financière de continuer à rembourser le prêt.

Dans le monde en général, peu de femmes occupent des postes de direction. Quelle est la situation au Cambodge ?

C'est la même chose ici. D’une certaine manière, c'est même pire encore. Nous avons environ 70 institutions de microfinance au Cambodge et 35 banques commerciales mais le nombre de femmes PDG est très limité.

Dans le secteur de la microfinance, on assiste à la création d’entreprises familiales. Donc, nous voyons davantage de femmes PDG car, s’il s’agit d’une entreprise familiale, généralement c'est la femme qui gère l'entreprise.

Nous sommes élevés dans une culture où la femme s’occupe de la famille. S'occuper des enfants et du bien-être de la famille relève de sa responsabilité. Pourtant, les femmes ne sont pas cheffe de famille. C'est l'homme qui prend les décisions.

Malgré cela, nous commençons à voir plus d'équilibre dans la société : plus de femmes vont à l'école et accèdent à l'enseignement supérieur, par exemple.

Comment cela se passe-t-il pour vous en tant que Présidente directrice générale de First Finance ? Avez-vous rencontré des difficultés pour accéder à ce poste ?

Quand j'ai pris le poste, on m'a dit que ma vie allait changer. Équilibrer vie privée et vie professionnelle, facile à dire mais, en pratique, c’est très compliqué. Mon mari est très compréhensif. Il travaille également à temps plein, nous avons donc moins de temps avec les enfants. Nous partageons les responsabilités au sein de la maison. Pendant le week-end, j'essaie de consacrer mon temps à ma famille et de passer du temps avec mes enfants.

Je vois que mes collègues masculins sont également confrontés aux mêmes défis pour trouver l’équilibre entre travail et famille. Donc, à ce stade, je dirais que ce n’est pas nécessairement une affaire de genre.

Du côté de l’entreprise, je dirais que ça va, parce que l'égalité des sexes est acceptée et que je ne suis pas uniquement considérée comme une PDG, au féminin. Peut-être est-ce parce que nous avons plus d'investisseurs étrangers ? Cette question évolue favorablement au Cambodge. De plus en plus de femmes occupent des postes à responsabilité.

De quelle manière Oikocredit vous a-t-elle aidé à résoudre des problèmes auxquels First Finance a été confrontée ?

Oikocredit ne se contente pas de procurer des fonds, elle investit également dans la formation de ses partenaires. Par exemple, depuis 2015, Oikocredit nous a formé.e.s à la gestion des risques, qui comprend la gestion des risques financiers, la gestion des risques de crédit et la gestion de la réduction des risques de catastrophe. First Finance a également participé à l'atelier de formation en finance responsable organisé par Oikocredit (avec des conseils sur l'auto-évaluation sur les principes de protection des clients). Nous avons des ressources limitées. Ce soutien non financier que nous recevons d’Oikocredit est donc très important.

De même, chez First Finance, nous cherchons à transmettre notre expertise et à fournir des conseils de qualité à nos propres client.e.s. Nous allons au-delà du service financier. Nous utilisons le terme de « partenaire en solution de logement ». Nous voulons être les conseillers et les partenaires de nos client.e.s, afin qu’ils et elles puissent nous consulter et nous faire confiance pour les besoins de leur foyer.

De plus, en matière de défis, de leçons apprises, de bonnes pratiques, etc., Oikocredit pourrait peut-être nous aider en nous orientant vers la bonne personne/organisation dont nous pourrions tirer des enseignements.

Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous avez décidé de travailler avec Oikocredit ?

Nous sommes restés avec Oikocredit en raison de son intérêt pour la performance sociale. Nous voyons comment elle interagit avec nous, conduit des évaluations, des contrôles et des rapports : toutes ces choses montrent leur intérêt. Les questions que vous posez à une organisation montrent ce que vous recherchez et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons poursuivre la relation.

Nous sommes fiers de faire partie d’Oikocredit, car vous faites vraiment ce que vous dites.

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