Le préfinancement: essentiel pour le commerce équitable

A l’occasion de la conférence organisée en mars 2019 par Oikocredit Belgique sur le commerce équitable, nous avons rencontré trois femmes immergées dans la réalité du monde du cacao en Côte d’Ivoire : Djénéba Coulibaly est présidente de la coopérative Katana, qui compte plus de 2.000 membres, Aminata Bamba est responsable de la durabilité au sein d’ECOOKIM, une association de 23 coopératives, Solène Prince travaille au bureau régional d’Oikocredit Afrique de l’Ouest, où elle est en charge du suivi des partenaires cacao.

Environ 9% des investissements agricoles d’Oikocredit concernent le cacao

Solène Prince nous explique en quoi l’investissement d’Oikocredit est important pour les coopératives de cacao.

“En Afrique de l’ouest, les petits cultivateurs sont financièrement très dépendants du cacao. Lors de la vente de leur récolte, ils reçoivent en une seule fois le revenu de toute une année. Ils sont donc particulièrement vulnérables durant la période qui précède la récolte... Celle-ci débutant en octobre, c’est généralement en septembre que les acheteurs viennent proposer un acompte aux cultivateurs afin de les lier à eux, souvent à des conditions défavorables car les bourses sont vides ! Or, septembre, c’est le début de l’année scolaire en Côte d’Ivoire, un mois de dépenses donc…

Vous voyez où je veux en venir? C’est LE moment de vérité pour les coopératives : soit elles peuvent proposer à leurs membres, tout comme les acheteurs commerciaux, un acompte sur la récolte à venir, soit les cultivateurs font le choix de se lier aux courtiers, même s’ils offrent des conditions moins favorables. Le problème, c’est que les caisses des coopératives sont également vides juste avant la récolte. Oikocredit vient alors à leur rescousse en leur consentant des prêts à court terme. Grâce au soutien d’Oikocredit, les coopératives ont la possibilité de s’engager vis-à-vis de leurs membres, avec un acompte et la promesse d’achat de leur cacao après la récolte, sous réserve de la bonne qualité du cacao. Lorsque les coopératives vendent le cacao à l’étranger, plus tard dans l’année, elles remboursent Oikocredit. »

Les coopératives et Oikocredit forment un bon duo: grâce à leur complémentarité, les cultivateurs se sentent en sécurité dans les coopératives. Sans le préfinancement mis à leur disposition par Oikocredit (et d’autres collègues), les coopératives ne seraient pas en mesure d’acheter suffisamment de cacao, elles seraient fragilisées et la production fair trade ne pourrait pas atteindre les volumes demandés au Nord.

N’y a-t-il pas de banques locales qui peuvent accorder un prêt pour le préfinancement de la récolte ?

Solène: “Non, les coopératives ne peuvent avoir recours à aucune banque en Côte d’Ivoire. Les banques exigent des garanties fermes que les coopératives ne sont pas en mesure de fournir et des volumes qui dépassent leurs possibilités. Habituellement, les banques n’interviennent que beaucoup plus tard dans la filière du cacao, lorsqu’elles ne courent plus aucun risque. C’est une énorme lacune du monde bancaire en Côte d’Ivoire. »

Bien plus : les gros acheteurs de cacao et les entreprises du marché ordinaire peuvent emprunter de l'argent à des conditions très avantageuses à l'Ouest, par l'intermédiaire de leur maison mère. Les multinationales mettent cet argent bon marché à disposition des intermédiaires avec lesquels elles travaillent. La concurrence entre le marché ordinaire et le commerce équitable se joue aussi sur le terrain du préfinancement des récoltes! Le financement qu’Oikocredit propose aux coopératives est fondamental pour la viabilité du commerce équitable.

En Côte d’Ivoire et au Ghana, les prix du cacao sont fixés par les autorités. Est-ce un avantage pour les coopératives ?

Aminata Bamba: “Ce système offre l’avantage que les autorités disposent des moyens de soutenir le secteur, mais il ne laisse pas beaucoup d’espace de négociation aux cultivateurs et aux acheteurs. C'est au niveau de notre offre de services que se situe la plus-value des coopératives par rapport aux acheteurs réguliers.

Nous misons en priorité sur la formation de nos membres et l’amélioration de la qualité du cacao. Produire du cacao certifié bio nécessite beaucoup d'efforts et d'investissements. Un cultivateur de cacao ne peut pas y arriver tout seul. C'est sur ce plan qu'intervient Ecookim. Pour faire progresser la qualité de notre cacao, nous organiser est la seule solution.

Lors de la conférence, d’autres intervenants ont émis des réserves sur les redevances prélevées par les autorités locales, en partie au détriment de ce que les cultivateurs et les coopératives retirent en fin de compte de leur commerce. Mais ni Oikocredit ni les coopératives ne peuvent exercer d’impact en la matière.

Seuls 12% des cultivateurs ont un revenu décent. Plus de la moitié d’entre eux vit même dans une extrême pauvreté. Quelles sont les mesures que prend Ecookim sur ce plan ?

Aminata Bamba: “En effet, nous avons encore beaucoup de pain sur la planche ! Prenons tout d’abord les prix d’achat par l’Occident : les prix et primes fair trade devraient être plus élevés. Ce sera le cas à partir de la prochaine récolte. C’est une bonne nouvelle. Mais ce prix plus élevé, nous ne le recevrons que pour le cacao vendu en tant que cacao labellisé. Or, environ la moitié de notre cacao n’aboutit pas dans du chocolat labélisé fair trade. Même si le cacao vendu répond aux conditions fair trade, nous n’obtiendrons pas de supplément de prix pour ce cacao-là. Donc, au plus de chocolat vendu sous label fair trade, au mieux !

Par contre, ce que nous pouvons faire, c’est travailler à obtenir des rendements plus élevés et une production de meilleure qualité. Un meilleur entretien des plantations, une utilisation plus rationnelle des engrais, le renouvellement des plantations, la lutte contre la déforestation, une meilleure organisation du stockage, l'optimisation de la fermentation des fèves de cacao, la supervision et l'accompagnement des cultivateurs… tous points d’action de nos coopératives qui ont pour objectif un meilleur revenu pour les cultivateurs. Cela vaut également pour déterminer le moment de la récolte. Parfois, les cultivateurs décident de récolter trop tôt, parce qu’ils ont besoin d’argent. La coopérative doit aussi être attentive à cela.

La diversification des récoltes est un autre élément très important : s’ils ne cultivent pas seulement du cacao mais aussi des légumes, des fèves ou du maïs, la dépendance vis-à-vis du cacao diminue et les revenus de la famille sont augmentés et mieux répartis sur l’année. Une bonne partie de la prime fair trade est consacrée à des programmes de diversification des récoltes, par exemple des légumes, mais quelques fermiers ont aussi démarré la culture de la vanille.

Et bien entendu, la prime fair trade finance aussi des formations. Ne perdons pas de vue que des coopératives fortes et bien gérées sont un atout important pour l'avenir. Ecookim veut y investir."

Quel rôle les femmes jouent-elles dans tout ceci ?

Djénéba Coulibaly : “Dans ma coopérative, j’ai réuni les femmes pour prendre ensemble à bras-le-corps la question de la diversification. Et nous avons réussi, ce qui est loin d’être évident dans une coopérative dominée par les hommes. En cultivant elles-mêmes par exemple des courgettes et des tomates, les femmes contribuent à améliorer l’alimentation de leur famille. En outre, elles vendent les légumes les plus beaux au marché. Elles ont ainsi acquis davantage de respect dans le village et au sein de la coopérative. Et elles participent avec fierté aux réunions, au village tout comme à la coopérative. C’est quelque chose de nouveau et j’en suis très fière car c’est la première étape vers une collaboration, une reconnaissance et une vision plus large de la part de nos membres : sur leur ménage, leur manière d’être en relation avec les autres. On ne peut pas réaliser cela si on reste seule à la maison. Travailler en groupe et en collaboration, c’est un bon début pour progresser.”

Qu’en est-il du travail des enfants? Parvenez-vous à l’éliminer ?

Djénéba Coulibaly nous explique de quelle manière elle lutte contre le travail des enfants dans les villages où elle est active :   

“Nous reconnaissons le problème et le gérons avec les mères. Car c’est elles qui déterminent si leurs enfants vont ou non dans les plantations pour travailler. La règle, c’est que, pendant les heures de cours, tous les enfants doivent être à l’école et que les mères doivent contrôler que c’est bien le cas. Si un enfant ne veut pas aller à l’école, sa mère doit s’y opposer. Et nous en discutons au village, avec toutes les femmes ensemble.

Les jours où il n’y a pas école, les enfants peuvent accompagner leurs parents dans les plantations. C’est une bonne chose car ils apprennent ainsi le métier. Mais ils ne peuvent pas faire de travaux lourds, uniquement un travail adapté à leurs capacités d’enfants. Nous en discutons avec les mères. Nous faisons un recensement de tous les enfants en notant leur âge et nous leur constituons même une trousse scolaire : cahiers, de quoi écrire, etc à des prix abordables. C’est peut-être le meilleur coup de pouce pour renvoyer les enfants à l’école. Nous avons d’ailleurs instauré un prix pour les cultivateurs qui respectent le mieux les directives de la coopérative : ils reçoivent quelques trousses scolaires en cadeau : un prix très apprécié !

Quelles sont l’importance et la place de la certification dans le fonctionnement d’Oikocredit en Afrique de l’ouest ?

Solène: “La certification contribue à la professionnalisation des coopératives et c’est une bonne chose. En même temps, il y a maintenant tellement d’organismes de certification que le système en devient opaque. On peut aussi se poser des questions par rapport au coût de tout ce travail de certification. La collaboration peut certainement être améliorée à différents niveaux, notamment pour limiter les coûts.

Dans certains cas, nous devons travailler avec des actes notariés. Eh bien, les coût de ces actes était devenu exorbitant ! Au bureau d’Oikocredit, nous avons pris nos responsabilités : nous avons recherché à Abidjan un notaire disposé à travailler à un prix moins élevé et nous en avons trouvé un !

Quoi qu’il en soit, un revenu décent est une priorité pour Oikocredit et nous nous assurons que les coopératives auxquelles nous octroyons des financements sont suffisamment actives sur ce terrain. C’est assurément pour nous un critère pour l’octroi ou non d’un financement. Est-ce que la coopérative est réellement concernée par la diversification des cultures, l’agroforesterie, la protection de l’environnement, la place des femmes dans la coopérative, une professionnalisation et une augmentation du rendement… tous facteurs qui contribuent à un meilleur revenu pour le cultivateur de cacao.

Consigné par Marc Bontemps

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